Critique : Hamilton, une comédie musicale révolutionnaire ?
Publié le 05/04/2018 par Tony Comédie.
J’ai profité de mon dernier week-end londonien pour assister (enfin) à la comédie musicale Hamilton, créée aux US en 2015 par Lin-Manuel Miranda et répliquée depuis le 21 décembre 2017 au Victoria Palace Theatre de Londres. Souvent décrit comme révolutionnaire, le musical aux 11 Tony Awards vaut-il l’hystérie qu’il suscite ?
Hamilton est une biographie d’Alexander Hamilton, un immigré orphelin des Caraïbes « père fondateur » des États-Unis. On y suit son enfance, son engagement dans l’indépendance des Etats-Unis face aux Anglais, sa participation à la rédaction de la constitution américaine et sa nomination au ministère du trésor public, sans oublier les trahisons politiques dignes d'House of Cards.
Si Hamilton a déclenché un tel raz-de-marrée outre-atlantique, c’est avant tout parce qu’elle donne un sens à l’histoire des Etats-Unis. La vérité historique du livret est telle que Barack Obama a conseillé le spectacle aux écoliers américains. Hillary Clinton a plusieurs fois cité des extraits d'Hamilton dans ses discours officiels. J’ai moi-même appris grâce à Hamilton que le centre du pouvoir politique américain a été déplacé de New York à Washington à cause d’un compromis permettant à Thomas Jefferson, en échange de l’acceptation de la réforme d’Hamilton, de se rapprocher de sa propriété en Virginie.
Les britanniques (pour lesquels une partie des paroles a d’ailleurs été modifiée), et a fortiori les français, s’ils peuvent y voir un excellent cours d'histoire, ne pourront pas ressentir l’exaltation patriotique qui a chamboulé les Etats-Unis après les Tony Awards 2016. Toujours est-il que le pouvoir marketing ayant fait son effet, le Victoria Palace Theatre de Londres est pris d’assaut chaque soir tout comme le Richard Rodgers Theatre de New York. Il faut actuellement attendre plus de six mois pour obtenir une place qui excède facilement les 100£.
Hamilton est souvent décrite comme révolutionnaire à cause de son style musical, qui penche (pour la première fois dans le genre de la comédie musicale) vers le rap et le hip-hop (rassurez-vous, le style Broadway n’est jamais très loin).
Mais le vrai génie de Lin-Manuel Miranda, à la fois librettiste, compositeur et parolier, est d’avoir fait jouer les rôles de nombreux américains blancs historiques tels que Georges Washington ou Thomas Jefferson par des comédiens afros-américains et asiatiques. Son deuxième talent est d’avoir assumé jusqu’au bout ce décalage entre le propos historique et la manière très moderne dont il le raconte. Pour donner un seul exemple, la scène “cabinet battle” est traitée sous la forme d’un clash entre rappeurs. Le résultat n’est jamais ridicule car totalement maîtrisé.
Les paroles sont incroyablement travaillées, avec de nombreux jeux de mots et des trouvailles rythmiques et sonores exceptionnelles. L’action est rapide et le livret dynamique, grâce à l’utilisation maîtrisée de flashbacks et d’ellipses. A l’instar des Misérables, la partition fait la part belle aux thèmes récurrents, souvent associés aux personnages. Elle possède une identité musicale propre qui plonge le spectateur dans une ambiance unique.
J’ai moins accroché à la création visuelle. Si les lumières sont à la hauteur, le décor reste statique, ce qui fait passer le spectateur à côté de "l’effet wahoo" souvent ressenti devant les décors majestueux d'une comédie musicale. Le choix - compréhensible par ailleurs - du metteur en scène Thomas Kail a été de concentrer l’attention du public sur le jeu exceptionnel des comédiens. Les chorégraphies d’Andy Blankenbuehler m’ont également laissées sur ma faim. Elles sont très françaises dans le concept, dans le sens où elles ne font qu’illustrer le propos sans jamais le faire avancer.
En résumé, si l’engouement général me semble exagéré (certains billets s’étaient revendus à presque 20.000$ pour la dernière représentation du cast original de Broadway), je considère tout de même Hamilton comme une oeuvre majeure de cette décennie, qu’il faut avoir vue pour ceux qui ont la chance de se rendre à Londres ou à New York. Pour les autres, l'enregistrement studio est disponible sur Deezer ou Spotify et permet de suivre l'intégralité de l'histoire.
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