J'ai assisté vendredi à la nouvelle adaptation de Singin' in the Rain au Théâtre du Châtelet de Paris, présentée pour la première fois aux parisiens en mars dernier et reprise depuis le 27 novembre pour cette saison. Est-il encore besoin de présenter ce théâtre mythique ? Quant à la reprise du fabuleux film de Stanley Donen et Gene Kelly, je l'attendais avec à la fois impatience et appréhension.
Comment transposer à la scène ce film musical de 1952, racontant avec humour les débuts du cinéma parlant, à travers le duo de stars Lina Lamont et Don Lockwood ? Certes, cela avait été fait à Londres et Broadway dès les années 1980, mais cette production du Théâtre du Châtelet propose une nouvelle vision de cette comédie mythique avec chansons, gags et romance à la sauce d'une nouvelle équipe de choc. Robert Carsen (Candide, My Fair Lady au Théâtre du Châtelet) à la mise en scène, Anthony Powell (My Fair Lady) aux costumes et Tim Hatley (My Fair Lady) aux décors, qui ont pour l'occasion accueilli le brillant chorégraphe Stephen Mear dans leur équipe pour la première fois. Et ont-ils réussi à transposer le succès du Singin' in the Rain de 1952 sur les planches en 2015 ?
En un mot, OUI ! En trois, mille fois OUI ! En quatre, mille fois oui, BRAVO !!! J'applaudis encore la performance. J'y allais certes avec bon espoir, convaincu par les précédentes production de Jean-Luc Choplin. Mais Gene Kelly a tellement bercé mon enfance, en particulier à travers cet hommage édifiant au cinéma, que je me demandais comment donneraient sur scène des passages aussi mythiques que la scène culte de Donald O'Connor Make 'Em Laugh ou l'incontournable chanson titre où Gene Kelly chante et danse sous des trombes d'eau.
Et pourtant, c'est un pari gagnant sur toute la ligne. Les performances de Daniel Crossley (Cosmo Brown) et Clare Halse (Kathy Selden) sont dignes de leurs prédécesseurs Daniel O'Connor et Debbie Reynolds. Le Make 'Em Laugh de Daniel Crossley est une performance à lui tout seul ! Et si Claire Halse n'aborde pas son rôle avec la même candeur légère que Debbie Reynolds, je me suis laissé charmer par son sens du rythme et sa présence scénique. Emma Kate Nelson présente pour sa part une Lina Lamont hilarante, et pourtant si juste qu'on en oublierait presque sa voix de crécelle (sa chanson soliste, ajoutée par rapport au film, est une merveilleuse idée). Je ne puis citer tous les acteurs secondaires, tous brillants dans leurs rôles, et applaudir les ensembles et figurants qui donnent tout son dynamisme et la pièce. Quant à Dan Burton (Don Lockwood), que dire si ce n'est que sa prestation frôle la perfection ! Tant ses interprétations des chansons, entrecoupées d'impressionnantes scènes de danse, que son jeu et sa présence scénique, en font l'interprète idéal du personnage créé par Gene Kelly. Grâce à tous ces talents réunis, il n'y a pas une seconde où l'on s'ennuie devant ce Singin' in the Rain de 2015.
Il serait injuste de vanter le brio de cette production sans parler des autres acteurs de son succès. Je commencerai par l'Orchestre Pasdeloup, sous la baguette experte de Stephen Betteridge. Ils nous offrent une orchestration dynamique et très équilibrée de la musique d'origine de Nacio Herb Brown. Je regrette seulement que la sonorisation de cette musique explosive ait quelquefois éclipsé, en début de morceaux, les voix des acteurs, parfois durant plusieurs secondes avant de présenter une balance de nouveau équilibrée.
Les décors et les costumes, véritables hommages à un film tout autant qu'à une époque, sont admirables. Tout en nuances de gris, ils n'en sont jamais ternes pour autant. Les costumes de chaque personnage semblent parfaitement adaptés à sa personnalité, et l'on assiste finalement presque autant à un défilé de mode de la fin des années 1920 qu'à la vie dans un studio à cette époque. Le défi de Tim Hatley était grand, la dynamique du film nécessitant des changements de lieux rapides et fréquents. Et c'est tout en fluidité que s'enchaînent pas moins de six environnements distincts, allant du salon chic de l'époque aux loges des acteurs, pour le plus grand plaisir des yeux.
Stephen Mear, aux commandes des chorégraphies, était lui aussi attendu de pied ferme par un public familier des pas de claquettes de Gene Kelly. Il y a certes moins de tap dancing dans cette production que dans le film original, mais je n'ai pourtant pas été déstabilisé. Solo, duo, trio, ensembles... Mear maîtrise tout et propose des chorégraphies dynamique, impressionnantes et parfaitement adaptées à ce contexte ! le Broadway Melody Ballet en est l'apogée, à tel point que je l'ai préféré à la version du film !
Enfin, il y a la mise en scène de Robert Carsen. Il y a du génie dans ce qu'il nous offre. La parfaite intégration du public à la pièce est littéralement éblouissante (les projecteurs parcourant la salle sans grande considération pour nos yeux, mais pour notre plus grand plaisir). J'ai été réellement ébahi pour l'ingéniosité dont Carsen a su faire preuve. Je n'étais plus assis dans mon siège, mais transporté de lieu en lieu, d'un côté à l'autre de l'écran de cinéma installé à l'occasion des films de Lina et Don. L'intégration à la scène de cet écran sur lequel sont projeté les films de l'histoire est audacieuse, mais franchement réussie ! À la fois fidèle au film et très originale, cette mise en scène se joue des difficultés que présentait l'adaptation de Singin' in the Rain, faisant de cette production l'hommage qu'il promettait d'être à un film, lui même hommage au cinéma.
Finalement, que vous dire, si ce n'est : courez acheter vos places !!! On rit, beaucoup, et ça fait du bien en ce mois de novembre. Cette production frôle la perfection. Comme dernière preuve, une promesse. Vous attendrez, tout comme je l'ai fait, la scène culte de la chanson éponyme, impatients de voir Don Lockwood trempé jusqu'aux os avec le sourire aux lèvres. Je vous garantie l'apothéose avant l'entracte ! Mais Rassurez-vous, ils ont gardé le meilleur pour la fin !
À cette fantastique équipe qui m'a fait vivre une soirée incroyable, merci ! À vous lecteurs qui n'avaient pas encore vos billets : hâtez-vous !
Merci à Der Traümer (remidertraumer@gmail.com), rédacteur invité pour cette critique !